Aujourd’hui, tout le monde pense pouvoir faire la même photo de paysage.
- julien delaval

- 17 juin
- 3 min de lecture
Je montre une image.
Un paysage travaillé. Une lumière rare. Des heures d’attente. Des repérages. Un moment juste.
Et parfois, la réaction tombe :
“C’est beau… mais bon, avec un iPhone aujourd’hui, tu fais pareil.”

La photo de paysage est devenu un fond d’écran
On est entourés d’images de nature. Des stories, des reels, des drones.
Des lacs parfaits, des ciels rouges, des montagnes nettes.
Tout est propre. Saturé. Rapide. Et à force de voir ces images en boucle, on finit par croire qu’elles n’ont rien de spécial. Que la nature est toujours belle. Et que la photographier, c’est juste être là au bon moment, smartphone à la main.
Mais être là, ça ne suffit pas.
Une image, ce n’est pas juste une lumière
Une belle photo de paysage, ce n’est pas une image bien nette.
C’est une lumière précise, un instant fragile, un ressenti.
Et souvent, c’est tout ce qu’on ne voit pas dans le cadre qui fait la différence.
Le silence avant.
Le choix de l’instant.
La décision de ne pas déclencher hier, de revenir aujourd’hui.
Et ça, l’iPhone ne le fait pas.
L’outil ne fait pas le regard
Tout le monde peut faire une photo.Mais pas tout le monde voit.
Ce n’est pas l’appareil qui fait la différence. C’est la sensibilité. Le moment choisi. Le regard.
La vraie question, ce n’est pas : “Avec quoi tu l’as prise ?”
C’est : “Pourquoi tu l’as faite ?”
Et surtout : “Qu’est-ce que tu voulais dire ?”
Les goûts, les followers et la réalité
Je vois passer des comptes avec des milliers de followers. Des traitements violents, des compositions hasardeuses.
Chacun ses goûts, vous allez me dire.
Mais il faut être lucide : la majorité des gens ne voient pas comme un photographe de paysage.
Ils réagissent à une ambiance, à une couleur qui claque, à un effet waouh.
Pas à une intention. Pas à une lecture construite. Pas à un silence.
Et quand une image plaît ou se vend, ce n’est pas parce qu’elle raconte une histoire.
C’est parce qu’elle colle à un intérieur, à un style déco.
Parce qu’elle va bien dans un salon.
Pas forcément parce qu’elle touche.
La confusion entre visibilité et légitimité
On a aussi appris à associer la reconnaissance à la fréquence.
Plus tu publies, plus tu es vu. Donc plus tu es “bon”. Mais ce n’est pas vrai.
Un photographe peut faire une image par mois et creuser un regard fort.
Et un autre peut en publier dix par semaine sans rien dire.
Être vu et avoir quelque chose à dire, ce n’est pas la même chose.
La photo est devenue un produit visuel
L’image est devenue un support de com. Une vitrine. Un outil de performance.
Elle n’a parfois plus le temps de vivre. Elle doit accrocher en 3 secondes, faire un effet.
Pas un silence.
Mais nous, photographes de paysage, on travaille l’inverse.
On cherche l’écho, pas l’impact.
La fatigue de ceux qui prennent leur temps
Et pendant ce temps-là, certains doutent.
Ils prennent le temps.
Ils marchent.
Ils s’engagent.
Ils ne produisent pas à la chaîne. Ils essaient d’être sincères.
Et ils regardent leurs images passer inaperçues pendant que d’autres explosent avec des contenus fabriqués.
Ils n’en parlent pas. Mais ça use.
La photo de paysage n’a pas besoin d’être parfaite. Elle doit être juste
On a confondu qualité d’image avec qualité de regard.
Mais une belle résolution, ce n’est pas une émotion.
Ce qu’un photographe donne, ce n’est pas un rendu technique.
C’est du temps. Du doute. De l’écoute.
C’est sa manière de voir. Sa manière de ressentir.
Et de respecter ce qu’il photographie.
Aujourd’hui, tout le monde pense pouvoir faire la même photo.
Mais la vérité, c’est que personne ne peut refaire la tienne car avec de la sensibilité et un oeil aiguisé, l'émotion prendra toujours le dessus.




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